Dans le contexte de crise pandémique actuel, les mesure de protection adoptées sur le plan mondial, certes salutaire sur un plan sanitaire, ont eu des conséquences graves sur l’économie des pays, puisque de nombreuses entreprises, notamment les petites et moyennes, étaient contraintes de suspendre leurs activités, et se sont, par ricochet, retrouvées en grande difficulté (arrêt des commandes, licenciement économique, perte de chiffre d’affaires, hausse du niveau d’endettement, non-respect de clauses restrictives, accentuation des difficultés d’accès à du crédit additionnel, etc.). Ainsi, cette situation liée au COVID-19 pourrait créer de nouveaux problèmes de continuité de l’exploitation ou accentuer ceux qui existent déjà.
Principe de continuité d’exploitation
La notion de « fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise», telle qu’elle ressort des dispositions de l’article 547 de la loi 15/95 formant Code de commerce revient au-devant de la scène et mérite une considération particulière autant par les chefs d’entreprises que par la profession comptable.
Selon les normes comptables marocaines (CGNC), dans l’hypothèse du « principe de Continuité d'exploitation, l’entreprise doit établir ses états de synthèse dans la perspective d'une poursuite normale de ses activités. Par conséquent, en l’absence d'indication contraire, elle est censée établir ses états de synthèse sans l’intention ni l’obligation de se mettre en liquidation ou de réduire sensiblement l’étendue de ses activités
Dans le cas où les conditions d'une cessation d'activité totale ou partielle sont réunies, l’hypothèse de continuité d'exploitation doit être abandonnée au profit de l’hypothèse de liquidation ou de cession. »
Rôle du commissaire aux comptes
Le commissaire aux comptes, en tant qu’organe de contrôle garant de la sincérité de l’information financière émanant d’une entreprise, dispose d’un rôle préventif important, du fait qu’il est bien placé pour relever les premiers signes de dégradation de la situation de l’entreprise. Les dispositions de l’article 547 du Code de commerce précisent que : « Le commissaire aux comptes s’il en existe, (…) informe le chef d’entreprise des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise ».
La survenue de la crise sanitaire ayant coïncidé avec la période des arrêtés/approbations des comptes annuels, l’alerte du commissaire aux comptes doit exposer les conséquences de la pandémie et préciser les raisons pour lesquelles celle-ci compromettrait la continuité de l’exploitation de l’entreprise au titre de l’exercice en cours et sur l’exercice suivant.
Enfin, les dirigeants, après une analyse spécifique de la situation, doivent élaborer un plan des mesures permettant de pallier aux éventuelles conséquences de la pandémie qui peuvent conduire à la remise en cause de l’exploitation de l’entreprise (modification du capital social, transformation de la forme juridique de la société, réduction de l’effectif, recherche de nouveaux partenaires, …)
Le commissaire aux compte est à son tour tenu de:
- évaluer les plans d’action établis par la direction par rapport à son évaluation de la continuité de l’exploitation, et à déterminer si la mise en œuvre de ces plans est susceptible d’améliorer la situation et si les plans sont réalisables dans les circonstances;
- examiner les prévisions de trésorerie préparées par la direction ainsi qu’à évaluer la fiabilité des données sous-jacentes et la justification des hypothèses principales;
- évaluer l’aide financière d’urgence et les autres formes de soutien offertes par l’État à l’entité et à ses salariés;
- évaluer les facilités de crédit et les modalités de remboursement;
- La prévention externe: il s’agit d’anticiper sur les difficultés des entreprises, afin de mieux les maîtriser en faisant appel notamment au président du tribunal, qui peut, s’il le juge utile, nommer un mandataire spécial pour aider le chef d’entreprise à trouver des solutions de redressement possible (instauration d’un dialogue entre le chef d’entreprise et son personnel, obtenir des délais de paiement de la part des partenaires de l’entreprises)
- La procédure de conciliation : considérée comme étant l’ultime phase avant l’ouverture des procédures judiciaires, la procédure de conciliation permet aux dirigeants d’entreprises en difficulté de trouver des solutions amiables simples, rapides et discrètes, pour le redressement de la situation de leurs entreprises. Son principal avantage est de permettre la suspension provisoire des poursuites, permettant au dirigeant d’entreprise se trouvant dans l’impossibilité de payer la plupart des créanciers de demander au président du tribunal la suspension provisoire des poursuites engagées par ses créanciers, ce qui lui laisse le temps de préparer un plan de redressement de l’entreprise. Cette mesure de suspension interdit également toute possibilité d’exécution de la part des créanciers sur les meubles et les immeubles de l’entreprise.
- La procédure de sauvegarde : cette procédure est adressée aux entreprises rencontrant des difficultés, qu’elles ne sont pas en mesure de surmonter, de nature à les conduire à la cessation des paiements. Le président du tribunal, après avoir entendu le chef d’entreprise, désigne des organes de la procédure (un syndic et un juge commissaire), dont l’objectif est d’aider le chef d’entreprise à préparer un plan de sauvegarde qui permet le redressement de la situation de l’entreprise. ledit plan de sauvegarde précise les engagements nécessaires au maintien de l’exploitation de l’entreprise et les moyens permettant son financement ainsi que les garanties attribuées pour l’exécution du projet de plan de sauvegarde. Le tribunal fixe une durée de 5ans pour l’exécution du plan de sauvegarde durant laquelle il peut bénéficier de l’arrêt de poursuites individuelles.
- La procédure de redressement : ouverte soit à la demande du débiteur, soit par l’un des créanciers ou par le tribunal. Elle permet de garantir (i) la protection du patrimoine de l’entreprise (prise des mesures conservatoires, et maintien de tous les actes nécessaires à la conservation des droits de l’entreprise contre les débiteurs de celle-ci et à la préservation de ses capacités de production) (ii) la continuation des contrats en cours (contrat de bail, prestation de services, ...) et (iii) l’Incessibilité des droits sociaux des dirigeants.